
N’avez-vous jamais rêvé d’ « entendre » vos ancêtres ?
J’ai le souvenir de ces repas de famille pendant lesquels la maison de mes grands-parents semblait comme remplie des voix fortes aux rudes accents de mon grand-père et de mes oncles – et leurs femmes n’étaient pas en reste – qui devisaient sur les dernières nouvelles du bourg, ou s’exclamaient aux beaux plis réalisés à la belote.
Et je ris encore de la tête de Tatiana, quand un jour ma grand-mère l’a invitée à aller au pré se chercher « eun’ bouillée d’pôques ».
Pour moi qui ai grandi à la ville et parle un français dit « standard », entendre aujourd’hui un paysan sarthois – ou mon père, le seul dans la famille qui sait encore les mots et l’accent de notre patois – me rappelle immédiatement mes origines.
Les voix des anciens
Patois : Parler provincial qui, étant jadis un dialecte, a cessé d’être littérairement cultivé et qui n’est plus en usage que pour la conversation parmi les gens de la province, et particulièrement parmi les paysans et les ouvriers. Le patois normand, gascon.
[Littré, 1863-1877]. Et on pourrait ajouter qu’ Il existe, dans chaque province de France, un certain nombre d’expressions à l’usage exclusif du peuple ; les personnes qui se piquent de savoir le français les dédaignent comme des termes corrompus, comme des mots bizarres œuvres de l’ignorance des masses
. Mais déjà en 1908, dans ce bulletin de la Société percheronne d’histoire et d’archéologie, l’auteur ajoutait : Les mots d’une langue ont […] leur histoire comme les monuments, et l’on ne saurait trop exciter les travailleurs à entreprendre des recherches historiques sur les diverses et anciennes formes de la langue française
.
Et heureusement pour nous, notre patrimoine linguistique fait aujourd’hui l’objet de plus en plus d’attentions, et d’actions visant sa sauvegarde.
Pour écouter la voix de nos ancêtres, nous avons la chance de bénéficier en Sarthe d’un programme « Sauvegarde de la parole sarthoise », à l’initiative de Fréquence Sillé, radio associative du Pays de la Haute Sarthe, et en partenariat avec les Archives Départementales. Je peux ainsi à loisir écouter ces histoires et ces voix, qui me rappellent la campagne de mon enfance (accès au catalogue).
Je vous invite par exemple à découvrir ce biau langaige cénoman au travers d’un conte sarthois dans lequel vous suivrez les réflexions d’un paysan qui se rend au Mans pour assister à « un concert en matinée su’ l’piace dé Jacobins ».
De nombreuses sources pour écouter les voix d’hier
Mais les sources pour écouter les voix d’hier ne manquent pas.
- Citons tout d’abord le programme Corpus de la parole du ministère de la culture et de la communication, dont le but affirmé est de valoriser le patrimoine linguistique de notre pays.
Accédez ici à la carte des langues.
- Ensuite, un petit tour dans les Archives de la Parole, créées en 1911 par le grammairien et historien de la langue française Ferdinand Brunot, avec le mécénat de Pathé, et consultables sur l’incontournable Gallica.
Je vous invite par exemple à écouter Le vent, poème dit par son auteur Émile Verhaeren en 1913 (Gallica | © BnF).
- Mais il existe bien d’autres sites, avec des focus plus régionaux, comme la Phonothèque de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, ou encore le site Les accents des Français, qui aborde l’Auvergne et la Lorraine.
- Enfin, si vous souhaitez joindre l’image au son, faites une recherche sur le site de l’INA.
Voyez par exemple ci-dessous ce reportage de 1969, qui met en scène une famille de paysans… sarthois. Notez qu’aujourd’hui, certains personnages et certains passages seraient sans doute sous-titrés ! Une pratique bien étrange que l’on voit par exemple au journal télévisé… justement lorsqu’un ancien est interviewé.
Écoutez les registres
Savez-vous que l’on peut entendre la voix de nos ancêtres en écoutant les registres ?
Non, je ne suis pas fou, je n’entends pas des voix. 😉 Lisez plutôt ! Il s’agit du baptême du Sosa de mes enfants n° 2048 (XIIème génération) :
1 Le dernier iour de mars 1655 á esté baptisé Marin fils de
2 marin Yvon & de Loyse L’apoustouere, a esté parrain
3 frañ Manguin & mareine Marthe Le prince
L’APOUSTOUERE, que j’ai vu aussi écrit LAPOUTOUERE ou encore LAPPOUSTOÜERE. Un patronyme qui figure ailleurs, plus tardivement, dans ma généalogie, et est devenu « en français » LAPOUTOIRE ou LAPOUSTOIRE. Alors dans ce « -OUERE », j’entends vraiment la voix de mon ancêtre, et je l’imagine sans peine, debout devant Monsieur le curé, déclinant avec son rude accent du terroir l’identité de son épouse lors du baptême de son fils.
Et dans les registres, il n’est pas si rare d’entendre ces accents surgis du passé. Ainsi, un PITOUAIS ou PITOUAYS qui devient PITOIS… Et une autre pratique des curés et officiers d’État-Civil qui nous amène à entendre le parler d’hier est la féminisation des noms de famille – sujet qui mériterait à lui seul un article sur le blog. Ainsi, dans l’acte ci-contre de 1800 (an VIII) est enregistré le décès de Louise PILLONE, fille de Louis… PILLON. Là encore, pour moi on entend le parler de nos campagnes : Louise, c’était sans doute pour ses contemporains « la Pillone », ou « la mère (la fille) Pillone ».
Ainsi on rencontre au détour des registres des BIGOTTE fille de BIGOT, LAMELOTTE issue d’AMELOT, SONAILLETTE / SONAILLET, LOISELLE fille de LOISEAU…
Langue française et langues de France
Pour ceux qui souhaiteraient creuser plus avant ce passionnant sujet, je recommande :
- l’intéressant billet Langue française : son origine et son évolution depuis le temps des Gaulois, sur le site La France pittoresque ;
- la carte linguistique de la France, sur Lexilogos, qui donne ensuite accès à de nombreuses ressources sur les langues, dialectes et patois de France (dictionnaires, glossaires, mémentos…) ;
- deux articles à découvrir sur Slate.fr, le premier exposant les résultats d’une étude du psychologue néozélandais Quentin Atkinson, et le second répondant à une surprenante question : nos ancêtres parlaient-ils comme Yoda ?
- Et pour les Sarthois, un ouvrage incontournable : Trésor du parler cénoman, par Serge Bertin, Dominique Beucher et Jean-Pierre Leprince, aux Éditions Cénomane (2004, avec CD)
Au fait, avez-vous trouvé ce qu’est « eun’ bouillée d’pôques » ? J’attends vos réponses. 🙂
Renan
La citation
« Un reste de l’ancien patois [la langue gauloise] s’est encore conservé chez quelques rustres dans cette province de Galles, dans la Basse-Bretagne, dans quelques villages de France. »
Voltaire, Dictionnaire philosophique
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