Vous avez dit « implexe » ? Mais que signifie en généalogie ce terme peu avenant, car peu usité et rimant immédiatement avec complexité. Un terme que les logiciels spécialisés de généalogie utilisent pourtant, notamment pour modifier certains paramétrages de l’affichage des arbres généalogiques ou de numérotation des ancêtres trouvés.
Alors, un implexe, qu’est-ce que c’est ?
Origine du mot « implexe »
Dans tous les dictionnaires « anciens » (j’en ai consulté plus de vingt), je trouve uniquement deux définitions concordantes de l’adjectif « implexe », qui ne varient pas ensuite dans les autres dictionnaires jusqu’au début du XXe siècle (par exemple le Larousse de 1919 et 1922) :
Le Larousse en ligne corrobore cette définition, ainsi que l’usage vieilli du mot : |
« Implexe » a aussi d’autres emplois. Il se dit par exemple d’un ensemble compliqué d’éléments hétérogènes [cf. par exemple le TLFi]. Le terme est aussi utilisé en sciences, et notamment en mathématiques. Il peut qualifier par ailleurs un groupe de soldats grecs appelé phalange implexe. Enfin, l’ « implexe » est aussi une des notions-clés de la pensée de Paul Valéry (1871-1945, écrivain, poète et philosophe). Il utilise ce concept pour désigner tous les pouvoirs potentiels de l’être humain, à savoir « notre capacité de sentir, de réagir, de faire, de comprendre » (extrait du dialogue L’idée fixe, 1932) |
Je n’ai pas réussi à trouver l’origine ni la première utilisation du terme « implexe » en généalogie. Mais les définitions récentes ont perdu une notion qui apparaissait auparavant dans une définition sur deux: la reconnaissance. Par exemple : …une pièce dans laquelle il y avait ou reconnaissance, ou péripétie, ou l’un et l’autre
[source Dictionnaire général de Napoléon Landais, sur Gallica]. Si « reconnaissance » s’entend au sens d’une filiation enfin reconnue, cela pourrait expliquer l’emploi du terme en généalogie.
À moins que ce ne soit simplement l’étymologie de ce mot. Mon Gaffiot me donne pour le verbe « implectare » (dont « implexus » est le participe passé), le sens de entrelacer, mêler à, enlacer dans… .
Et vous allez constater qu’en généalogie, un implexe, c’est bien une ascendance entrelacée…
L’implexe en généalogie
Le fameux « NEMO » (dictionnaire généalogique d’Alain Némo) en donne non pas une, mais trois définitions :
adjectif ou susbstantif
- Se dit d’une généalogie dont l’ascendance est entremêlée.
- Phénomène par lequel chacun à un nombre réel d’ascendants inférieur au nombre normal théorique, chacun d’entre nous descendant plusieurs fois d’une même personne en raison de mariages entre cousins plus ou moins proches.
- Rapport entre le nombre réel et le nombre théorique mathématique d’ascendants d’une personne.
Personnellement, j’emploie le terme d’ « implexe » quand un individu apparaît plusieurs fois dans l’ascendance d’un des ancêtres du de cujus. En d’autres termes, cet ancêtre de la personne dont on établit la généalogie descend plusieurs fois du même ancêtre (ou, en général, du même couple d’ancêtres). Je dis alors « il y a un implexe » (ou « ah, je sens qu’il va y avoir un implexe »), ou même « j’ai un implexe » ;-).
Un exemple, dans mon ascendances maternelle, un mariage entre un oncle et sa nièce : en 1906, Eugêne Auguste DEZÊTRE épouse à Angers (49) Marie Rose Joséphine DESÊTRE, fille de son demi-frère Jean Marie Baptiste. De cette union naîtra en 1907 une fille, Renée Marie, ma grand-mère maternelle.
Un autre exemple, un double implexe dans l’ascendance patronymique de mon époux : le couple Jullien YVON x Jacquine RENARD (milieu du XVIIIe siècle) apparaît trois fois dans son ascendance. En effet, son grand-père paternel descend de leur unique fils, Jullien (qui transmit donc le nom à la famille), ainsi que de leur fille aînée Sainte. Et on trouve aussi dans l’ascendance de sa grand-mère paternelle Jacquine YVON, fille de Jullien et Jacquine RENARD. Ses grand-parents étaient donc « cousins », au 13ème degré en Droit civil.
Un bon logiciel de généalogie gère pour vous les implexes, notamment en attribuant à chaque ancêtre un nouveau numéro de Sosa à chaque fois qu’il apparaît dans l’ascendance, et en restituant un « taux d’implexes » dans ses différents rapports statistiques. Votre logiciel vous propose très certainement une gestion des implexes, et notamment des paramètres modifiant l’affichage de votre arbre généalogique. Généatique permet par exemple via l’onglet « Implexe » du menu Arbres/Paramétrage de l’arbre, d’activer ou désactiver la gestion des implexes. Si cette gestion est activée, les branches dupliquées (implexes donc) n’apparaîtront qu’une seule fois sur l’arbre graphique, et des liens seront ajoutés pour matérialiser ces implexes.
Le calcul de l’implexe
Le rapport entre le nombre réel et le nombre théorique d’ancêtres est appelé l’implexe (cf. troisième définition donnée par Alain Némo). Personnellement, j’évoque plutôt un taux ou pourcentage d’implexes (c’est ce taux qu’affiche le logiciel Généatique dans ses rapports).
Il peut être calculé de deux manières différentes :
- division du nombre réel d’ancêtres cumulé (donc le nombre d’individus distincts) à une certaine génération par le nombre théorique d’ancêtres (définition du Némo) ;
- ou son complémentaire : division du nombre d’ancêtres distincts manquants (du fait des doublons liés aux implexes justement) par le nombre théorique cumulé d’ancêtres à une certaine génération. C’est le calcul que présente par exemple Généatique.
Si je reprends l’exemple de mon implexe DEZÊTRE-DESÊTRE, à partir de Renée Marie, fille du couple, le taux d’implexe est de 12% à la IVème, Vème et VIème génération, et de 11% en cumulé. L’ascendance est complète, mais avec seulement 55 individus, là où on devrait en compter 62.
Implexe et consanguinité
Quand il y a implexe, il y a consanguinité, et inversement. Pourtant, implexe et consanguinité ne sont pas synonymes, ce serait trop simple. 😉
Implexe & Consanguinité : non, la « France » ne comptait pas des milliards d’habitants en l’an mille !
Puisque l’on double le nombre théorique d’ancêtres à chaque génération, implexes et/ou consanguinité convergent pour expliquer le fait que le nombre réel de nos ancêtres soit inférieur à ce nombre théorique, et donc plus compatible avec la réalité de la population française (ou mondiale). En effet, sans consanguinité et donc sans implexe, la progression mathématique du nombre théorique de nos ancêtres dépasserait très largement les chiffres de la population française (ou mondiale) : nos ancêtres se compteraient par exemple en milliers de milliards à l’époque de Charlemagne !
Nous trouvons donc dans nos ascendances de nombreux mariages entre « cousins », plus ou moins éloignés, et qui surtout l’ignoraient. L’Église romaine, d’une grande vigilance sur le sujet, avait bien fixé au XIIe siècle une limite au 7ème degré de parenté. Mais devant la difficulté, voire l’impossibilité, d’établir à l’époque une généalogie sur un si grand nombre de générations, cette limite a été ramenée à 4 générations (arrière-arrière-grands-parents), au XIIIe siècle, alors que l’église impose aussi la proclamation des bans. Et malgré un droit canon drastique – seul le Pape pouvait accorder une dispense au 2ème degré (cousins germains) – les dispenses de consanguinité n’étaient pas si rares…
C’est ce qu’on appelle aussi l’endogamie, le fait de se marier à la fois dans son milieu géographique, social, professionnel, et souvent aussi familial, c’est à dire entre parents. Le but était notamment de conserver des privilèges ou un patrimoine au sein d’une famille.
Nous avons tous des implexes dans notre généalogie, et nous sommes tous consanguins !
L’exemple le plus célèbre : le roi d’Espagne Alphonse XIII, pour n’avoir eu que 111 ancêtres différents au lieu de 1 024 à la 11ème génération avait un implexe de 89 % (1 024 – 111 = 913, 913 rapporté à 1 024, 89%) !
Le record connu…
Autres personnages mentionnés : Louis XIV descendait 368 fois de saint-Louis, et le Comte de Paris, décédé en 1999, avait pour quatre grands-parents quatre Orléans, tous quatre arrière-petits-fils et arrière-petites-filles du roi Louis-Philippe
.
Et pour revenir au commun des mortels, en 1781, le curé de Degré (actuelle Sarthe) procède à un mariage « sans opposition civile ou empeschement canonique que celuy de parenté du quatre au quatrieme Degré dont ont obtenu Dispense françois vigneron et jacquine Besnoist ». Notez qu’est explicité dans l’acte l’argument principal que les deux fiancés ont dû utiliser dans leur supplique à « sa grandeur Monseigneur l’Eveque du Mans ». Le prêtre précise en effet : « empeschement qu’ils avoient ignoré jusqua la derniere publication faite en la paroisse de degré ». Ils ne savaient pas.
Le curé de Degré intègre en outre dans l’acte un arbre qui part de la « tige ou souche commune », et illustre les lignées, à la fois par les hommes et par les femmes, qui mènent aux deux fiancés. Il précise enfin le décompte des générations, conformément au droit Canon.
Pourtant, implexe ne veut pas forcément dire consanguinité
Par contre, implexe et consanguinité divergent aussi : quand on établit une généalogie, on trouve toujours des implexes, même si le de cujus n’est pas issu d’un mariage consanguin (du moins sans lien de parenté établi entre ses parents par les recherches généalogiques). La consanguinité des généticiens s’intéresse au lien de parenté entre les parents. C’est la probabilité qu’ont deux parents de transmettre le même gêne d’un ancêtre à leur progéniture. Plus précisément, on parle ici d’autozygotie (par opposition à hétérozygotie), c’est-à-dire en termes savants, de la présence à un locus donné de deux allèles identiques. |
Notez par ailleurs que la formule mathématique concernant la consanguinité est très différente de celle de l’implexe – et bien plus complexe. C’est un calcul probabiliste qui somme les probabilités de chaque « chemin » (lignée) pouvant amener un enfant à posséder des gênes communs donnés par ses ancêtres (autozygotie). Vous pouvez trouver ici une démonstration complète de ce calcul. Vous y découvrirez, pour l’exemple, que le coefficient de consanguinité d’un individu issu d’un croisement frère sœur est donc de 1/4. |
Deux sujets très consanguins mais qui n’ont pas de parenté en commun donneront une progéniture non consanguine et bénéficieront de la « vigueur hybride ». Deux sujets non consanguins avec une parenté en commun auront une progéniture consanguine.
Dernières différences : l’implexe s’intéresse au passé, à l’ascendance, et il est certain et établi, alors que la consanguinité utilise le passé pour s’intéresser l’avenir et n’est qu’un taux, une probabilité, et donc aux conséquences génétiques incertaines.
Alors, décomplexé(e) de l’implexe ? 😉
La citation
« Ce qui rapproche, ce n’est pas la communauté des opinions,
c’est la consanguinité des esprits. »
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu
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