Le « grand hyver » de 1709 dans le Maine et le Perche

En Normandie ce matin, il faisait « fraid coumme gliaiche » 1. Quoi de plus naturel me direz-vous, c’est l’hiver. Mais j’ai tout de même pensé à mon curé (préféré ;-)) de La Quinte (actuelle Sarthe), qui titrait ainsi en 1709 une de ses petites chroniques : « froid surprennant ».
« Fait-y fré » se plaignaient sans doute ses paroissiens.

Ce phénomène météorologique européen connu sous le nom de « grand hyver » a été des plus commentés par ses protagonistes, notamment dans les registres paroissiaux, et autant évoqué par nos contemporains (cf. par exemple récemment sur le blog Lulu Sorcière Archive). Je partage avec vous aujourd’hui d’autres témoignages d’époque, écrits de la main de quelques curés du Maine.

Étonnez-vous mortels…

Chronique du curé de La Quinte (72), 1709

BMS 1674-1730 (suite) - Cote 1MI 1210 R1, vue 100 | © Archives Départementales de la Sarthe

1. Etonnez vous mortels du froid tres apre qu’on
2. a ressenty lhyver de l’année 1709, qui a fait périr les noiers
3. maronniers chesnes houx chataigners. pour la plus part ___
4. n’etant resté icy, que les jeunes arbres.
5. …2

Chronique du curé de Connerré (Sarthe), 1709Les curés de Connerré (BMS 1700-1720 vue 174) et Athenay (aujourd’hui Chemiré-le-Gaudin, BMS 1674-1724 vue 218) donnent des témoignages concordants. Ils citent eux aussi les noyers parmi les « victimes » de ce grand froid, gelés jusqu’à l’aubier.
La Revue forestière française
, qui cite l’hiver 1708-1709 comme « particulièrement meurtrier », précise : Il convient […] de relever que, malgré [une] extrême sensibilité aux gelées « hors saison », les noyers souffrent rarement de froids d’hiver.
Chronique du curé d'Athenay (Chemiré-le-Gaudin, Sarthe), 1709Ils ne sont point toutefois à l’abri d’accidents tels que la gélivure du tronc ou, plus rarement, la gelure des branches. Les noyers, comme beaucoup d’autres arbres de nos contrées, connaissent de temps à autres ces misères. Ils souffrent particulièrement lorsque les grands froids surviennent brutalement.

Et surtout, comme ce fut le cas apparemment cet hiver-là, lorsque le froid revient, plus dur encore, après un bref redoux…

Les deux curés mentionnent aussi les dégâts causés aux vignes. Leur disparition – on n’en trouve plus aujourd’hui que dans le sud du département, le Jasnières… – remonte-t-elle à ce terrible hiver ?
On dit que pendant ce temps au château de Versailles, « le vin du roi gelait dans les carafes » et que « celui-ci l’exposait à la chaleur des flammes pour en boire ». À Paris, la température atteignit -25 à -30°.

Miséricorde, mon Dieu ! Miséricorde ! Faut-il que nous mourions de faim !

Mais après le froid vint la disette, puis avec la flambée des prix, elle aussi évoquée par les deux curés, la famine. Dans l’extrait d’un placard imprimé à l’époque à Paris par un comité de charité, et qui fut publié dans le « Magasin pittoresque » en 1854 (sous la direction de Édouard CHARTON, ouvrage disponible dans Gallica), on peut lire :

Du pays du Maine et du Perche.

Le secours du potage à Paris en 1709

Le secours du potage à Paris pendant la famine de 1709 - dessin de Sellier d'après une estampe du XVIIIe s.

«On écrit du Mans que les aumônes qui se font à la Couture et Saint-Vincent attirent si grand nombre de pauvres, qu’il y a en a plus de dix-huit mille qui vont mourant de faim. Les uns sont dans leurs maisons, sans secours, et y meurent; la plupart se glissent dans les cours et dans les écuries, dont on ne peut avoir le cœur de les faire sortir. On en trouve en chemin, à raison de leur grande faiblesse; d’autres dans les rues et aux halles, mais en si grand nombre qu’on ne peut fournir à les assister; et ceux de dehors ne laissent pas de continuer d’y venir, quoiqu’ils voient périr leurs semblables, leur étant encore plus impossible de subsister en leurs village. Plusieurs étant arrivés, ne durent que du soir au lendemain; et néanmoins, plus il en meurt, plus on ne voit; et bien qu’à voir ce prodigieux nombre il semblerait que la campagne en devrait être déserte, cependant toutes les paroisses circonvoisines en sont pleines, et de passants qui crient par les chemins: «Miséricorde, mon Dieu! Miséricorde! Faut-il que nous mourions de faim!» Ils se mettent à genoux, les larmes aux yeux, les mains jointes.
«Le Perche est en pareille misère, car, dans la seule ville de Mortagne et dans la banlieue, on y compte plus de quinze mille pauvres, dont grand nombre meurt tous les jours, et le curé de Saint-Victor, entre autres, va ramasser leurs corps le long des haies.»

Saint-Simon écrira dans ses mémoires (tome 7, chapitre VIII) que L’hiver, comme je l’ai déjà remarqué, avait été terrible, et tel, que de mémoire d’homme on ne se souvenait d’aucun qui en eût approché.

Mais laissons la – stupéfiante – conclusion à F. CADOUX, notre bon curé de La Quinte :

Remarque du curé de La Quinte (Sarthe), 1710

3. … cependant la Charité a été
4. si abondamment exercée envers les pauvres quils ont
5. subsisté, cette année 1710 les personnes riches et
6. Charitables ont décédé plutót, que les pauvres,

Émmanuel Le Roy-Ladurie estime que la famine de 1709 fut à l’origine de 600 000 décès, soit 3% de la population française d’alors.

La citation

Ad perpetuam Vis memoriam

Littéralement, « pour que la mémoire de la chose dure éternellement ».

1. D’autres expressions glacées et dictons normands sur le site Jeune Normandie.
« Quand la Cand’leu est cliaithe l’aube gélée est en driéth. » 😉

2. « Que les feux sacrés du Saint-Esprit descendent sur nous, absoudre les coupables du péché, donner la paix à ceux qui demandent. » …grosso modo.

 

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