Remède infaillible contre la rage (& exercice de paléographie)

Le loup et la rage | Le loup, Seigneur des Forêts et de mon Coeur

En écho aux captivantes et étonnantes histoires de loups
sur le blog de Lulu Sorcière

Vers 1669, René DU BOIS, curé de la paroisse Saint-Martin de Souillé (comté du Maine, actuel département de la Sarthe), consigne sur ses registres un bien étrange remède. Ce remède, dit infaillible, concerne un des fléaux du temps, qui reste très répandu de nos jours : la rage, qu’on appelle aussi hydrophobie.

Le remède infaillible contre la rage au XVIIIe siècle

Remède contre la rage - BMS Souillé (72), 1669, BMS 1MI 1265 R1 vue 197 | © AD-72Le curé René DU BOIS détaille par le menu, sur plus de deux pages de son registre, les soins à apporter à une personne (ou un animal) qui a esté mordu dune beste ou de quelque personne enragée. Il faut notamment, c’est bien évident, nettoyer la ou les plaies avec un couteau, qui ne sert pas à manger cela va sans dire, puis ensuite de l’eau, du vin et… du sel [NDLR :  aïe, ça pique et ça retarde la cicatrisation, mais c’était le but recherché…].

Outre les soins à apporter à la ou aux plaies, le brave curé indique les ingrédients et les étapes de la préparation d’un «  marc » à base d’herbes sauvages. Ces fameux ingrédients sont : rue (rue des jardins dite aussi officinale ou… fétide), sauge, marguerite sauvage, racine d’argancier, racine de scorsonère (dite d’Espagne, quoy qu’elle se trouve aussi bien & aussi bonne en France qu’en Espagne), de l’ail et une pincée de gros sel. Notez que le scorsonère est une espece de salsifix ou barbe de bouc qui a lecorce et la racine noir et est fors excellente contre toute sorte de venin et speciallement contre les morsures de viperes et bestes enragées mais elle n’est pas nécessaire absolument, tout comme l’églantier.
Le marc ainsi élaboré sera appliqué en cataplasme sur la plaie, mais, mélangé dans le mortier avec un verre de vin blanc puis passé à l’aide d’un linge, servira aussi de décoction pour le patient. Lequel patient se verra aussi servir une omelette dans laquelle on aura incorporé une escaille duistre seulement celle de dessous […] bien calcinée […] en pouldre ainsi que de lhuille dolif.

Sieur Jacques de SolleyselLes mêmes remèdes seront appliqués aux animaux, en remplaçant toutefois le vin par du lait [NDLR : no comment]. Faire avaler une telle décoction à un chien, à un cheval ou une vache atteint de la rage ?
Bon courage !
Morale du curé DU BOIS : il faut toujours avoir de la poudre de coquille d’huitres chez soi (celle du dessous seulement, évidemment ;-)).

Le curé René DU BOIS de Souillé n’a pas inventé ce remède ; il ne l’a pas non plus trouvé sur quelque bulletin paroissial de l’époque… Après quelques recherches, j’ai découvert qu’il a en fait retranscrit le remède, dans son français approximatif, d’après un livre de Jacques de SOLLEYSEL, Escuyer du Roy, sieur du Clapier [sic] et de la Bérardière (1617-1680), auteur d’ouvrages sur les chevaux et la cavalerie dont « Le parfait mareschal » (au titre complet… sans fin), ré-édité en 1672 et maintes fois par la suite. 1
C’est son portrait (et non celui de notre bon curé) qui figure ci-dessus.

Jacques de SOLLEYSEL précise que « [ce remède] contient & porte la guerison infaillible d’un mal duquel chacun sçait que la Medecine ordinaire n’a point encore prescrit de remede assuré : falloit un miracle ou estre plongé dans la mer pour en estre guery ; & il est des lieux si éloignez de Saint Hubert ou de la mer, qu’il est souvent mal-aisé d’y pouvoir recourir ». « Ce remede a esté plusieurs centaines d’années un secret enfermé dans un famille qui faisoit gloire d’en communiquer gratuitement les salutaires effets à tous ceux qui en avoient besoin, conservant pour toüjours le secret comme un honorable héritage de la Famille. »

La bonne fortune du remède de Solleysel… et d’autres remèdes infaillibles !

Le parfait mareschal, Sieur Jacques de Solleysel | Google booksLa recette devenue publique devint le « remède de Solleysel ». Il fut maintes fois repris, modifié, simplifié…
Par exemple M. REVOLAT, médecin à Vienne en Dauphiné, le compléta avec des frictions de « pommade mercurielle » sur les plaies et l’ingestion d’un « bol mercuriel purgatif » au « mercure doux » [euh…] préalablement à la potion Solleysel. Ses expérimentations et observations médicales le persuadèrent de l’efficacité de ce « traitement mixte », selon ses termes. Elles sont rapportées dans l’ouvrage très complet de Charles Louis François ANDRY (1741-1829), médecin, qui liste pléthore d’autres remèdes. 2

« Il existe un grand nombre de remèdes contre la rage. Le plus ordinairement, la connaissance de ces remèdes se transmet dans certaines familles, qui en connaissent seules la préparation et en font un SECRET [NDLR : c’est l’auteur qui souligne, toujours ce fameux secret…]. » écrit par C. HOMBOURG dans son ouvrage « Guérison de la rage ». 3

Et si la rage ne vous tuait pas, le remède avait de grandes chances d’y parvenir. Il s’en trouvait par exemple un à base notamment de scarabées macérés dans le miel et de plomb limé. Ce remède… infaillible bien sûr, devint célèbre car en 1777 S. M. le Roi de Prusse Frédéric en fit l’acquisition auprès d’un paysan de Silésie. 2 & 3

Timbre français - Centenaire du vaccin contre la rageNotez que ce n’est qu’en 1885 que PASTEUR inventa son vaccin contre la rage, dont il ne garda pas le secret : un vaccin efficace mais pas… infaillible !
La rage reste une maladie très répandue dans le monde. Elle est mortelle en l’absence de traitement. En 2008, près de 5000 personnes ont été traitées contre la rage en France. Et malgré le traitement anti-rabique, la rage tue environ 50 000 personnes chaque année dans le monde.

Exercice de paléographie **

Mais revenons à notre curé de Souillé et ses registres.
Avez-vous remarqué son écriture fine et déliée ? 😉

Un bon exercice de paléographique, non ?
Vous pouvez consulter les trois pages du fameux remède sur le site des Archives Départementales de la Sarthe (commune de Souillé, registre BMS 1594-1671, vues 197 et 200), ou les télécharger ici, ici et (faites un clic droit, puis sélectionnez « Enregistrez la cible du lien sous… »).

Puis exercez-vous, même si ce n’est que sur une partie du texte. Vous pouvez ensuite me demander la transcription complète (au format Word ou PDF), que je vous fournirai avec joie !
M’écrire à tatiana [à] yvongenealogie.fr.

Je vous ai déjà bien aidés tout au long de l’article, par exemple en vous donnant le nom des plantes qui composent la recette du remède infaillible.
Mais attention aux petits malins ! 😛 Le curé de Souillé n’a pas bien recopié le texte de SOLLEYSEL, donc si vous vous « inspirez » de l’original… vous ferez des erreurs de transcriptions faciles à repérer, hé hé !

La citation

« Ceux qui les ont les premiers publiés, par négligence ou
par une trop grande crédulité, ne se sont pas souciés de recognoistre la vérité.
Ceux qui sont venus après ce sont fiez au récit des premiers :
et ainsi de main en main, d’escrit en escrit les faussetez et absurditez
ont esté authorisées et reçues pour véritables. »

Jean RIOLAN, Gigantologie, Paris, 1618 4


  1. LE PARFAIT MARESCHAL, QUI ENSEIGNE A CONNOISTRE LA BEAUTE, LA BONTE & LES DEFAUTS DES CHEVAUX, les signes & les causes des maladies ; les moyens de les prévenir ; leur guérison , le bon ou mauvais usage de la purgation & de la saignée. La manière de les conserver dans les voyages, de les nourrir, & de les panser selon l’ordre. La ferrure sur les desseins des fers, qui rétabliront les méchans pieds, & conserveront les bons. ENSEMBLE Un traité du haras, pour élever de beaux et de bons poulains; & les preceptes pour bien emboucher les chevaux : avec les figures necessaires, Sieur Jacques de SOLLEYSEL, ré-édition de 1713 consultable sur Google books.
    NB : pour l’anecdote, l’exemplaire de l’ouvrage numérisé par Google appartenait apparemment à DEMONTMEAU, curé de Montaingon. Un best-seller des curés de France et de Navarre ?
  2. Recherches sur la rage, Charles Louis François ANDRY, 1778, traduit en plusieurs langues, édition de 1780 consultable sur Google books, « scarabées » pages 271 et suivantes, « traitement mixte de M. Revolat », pages 372 et suivantes.
  3. GUÉRISON RADICALE DE LA RAGE ! Indication de la préparation, conservation et application d’un remède contre la rage reconnu INFAILLIBLE par les autorités du royaume de Prusse, 1856, C. HOMBOURG, consultable sur Gallica © BnF.
  4. Citation trouvée dans un article sur la rage au XVIIIe siècle de Pierre C. LILE et Y. LIGNEREUX, qui traite de l’article « Rage » extrait de l’ouvrage de l’abbé François ROZIER Cours Complet d’Agriculture ou Dictionnaire Universel d’Agriculture, Paris, 1781, consultable sur Google books.

 

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