L’arbre généalogique (2ème partie) – origines et précurseurs

Après avoir quelque peu digressé, nous voici au cœur du sujet : l’histoire de l’arbre généalogique.

La dénomination « arbre généalogique », ainsi que la métaphore végétale utilisée pour évoquer ou représenter la lignée de ces ancêtres pour la plupart disparus qui ont mené jusqu’à nous, sont aujourd’hui passées dans l’usage courant.
L’arbre généalogique fait partie du quotidien des généalogistes, amateurs ou professionnels, dont les logiciels spécialisés utilisent cette représentation graphique – qu’on appelle justement « graphes » dans la théorie informatique et mathématique – pour la saisie ou la consultation de leurs données généalogiques. C’est aussi une réalité pour les écoliers français, qui tous auront deux, voire trois fois l’occasion au cours de leur scolarité d’établir leur arbre généalogique.

Arbre généalogique

Pourtant, les représentations en images de la généalogie ne sont pas si anciennes, et la métaphore végétale ne s’est pas immédiatement, ni définitivement imposée – comme l’illustre la définition ci-dessous :

« Arbre de généalogie : grande ligne, au milieu de la table généalogique, qui se divise en d’autres petites lignes qu’on nomme branches, et qui marquent tous les descendants de quelque famille.»

d’après l’ouvrage d’Émile LITTRÉ (1863-1877)

Les origines romaines de la métaphore végétale

Qabr-Hir (Liban) - pavement de la nef centrale de Saint-ChristopheLe culte des ancêtres était une pierre angulaire de la cohésion sociale dans de nombreuses sociétés antiques. C’était le cas notamment à Rome, où les portraits des vénérables ancêtres ornaient souvent les murs des demeures des citoyens, à l’époque déjà pour justifier de leur respectable et puissante origine. Ces portraits étaient parfois reliés par des bandelettes, ou « stemmata », qui préfigurent les rinceaux et branches qui n’apparaîtront que bien des siècles plus tard dans les représentations généalogiques pour figurer les liens de parenté.

La métaphore végétale trouve donc son origine dans l’antiquité. Les textes des auteurs romains évoquent les racines, branches, etc. de la famille, mais présentent aussi souvent la famille comme une maison. L’homme lui-même est comparé à l’arbre : son sang est sève, ses membres branches… Une métaphore vivante, presque animée, qui suggère bien la croissance et l’évolution de l’homme ou de la famille, une croissance organique, irrégulière.

Les premières représentations généalogiques

Aux origines de la discipline, la généalogie est l’affaire des clercs de l’église et autres moines. Elle poursuit alors plusieurs objectifs, religieux tout d’abord, puis politiques :

  • assurer la transmission des généalogies bibliques et l’enseignement du dogme ;
  • faire appliquer des règles matrimoniales plus strictes, et proscrire les mariages consanguins, entre parents trop proches (4ème degré de parenté, à partir du XIIIe siècle);
  • asseoir la légitimité du pouvoir politique ou de revendications territoriales, au travers d’une véritable propagande  généalogique, donnant à voir une ascendance remontant jusqu’à de nobles prédécesseurs, notamment Saint-Louis ;
  • plus tard, affirmer au travers de leur lignée les privilèges, les droits sur les terres et autres successions des familles nobles, mais aussi transmettre la mémoire familiale.

Arbor pro agnatis-pros cognatis par Fernand Berenger, 1552 - © Bibliothèque de ToulouseLes graphiques (« stemma » ou schéma en latin) traitant de la parenté, qui existent depuis l’antiquité, sont appelés à partir du IXe siècle « arbres du droit » (« arbor juris »). Mais malgré ce nom, leurs formes géométriques souvent épurées n’évoquent en fait que très peu la silhouette d’un végétal. Mais voyez ci-contre un exemple figurant au contraire un très bel arbre stylisé.

Les premières représentations graphiques de généalogies (bibliques surtout, et quelques généalogies impériales) apparaissent entre le Xe et le XIIe siècle. En France, les Mérovingiens, Carolingiens et Capétiens font l’objet des premières généalogies non bibliques, réalisées par l’abbaye Saint-Aubin d’Angers entre 1061 et 1068. Les représentations en image des généalogies resteront rares jusqu’au XIVe siècle, alors que le terme « arbre de généalogie » s’impose quant à lui autour de 1300.

Le triomphe de la représentation graphique

Historiquement, les généalogies étaient contées, puis couchées sur des parchemins dans un style narratif. C’est sans aucun doute l’objectif de vulgarisation, et le souhait d’atteindre et de se faire comprendre par le plus grand nombre, qui a mis en exergue le besoin d’une représentation graphique de la généalogie. Et le triomphe de cette représentation graphique ne sera définitivement acquis qu’au XVIe siècle, après l’apparition de l’imprimerie qui favorisera sa reproduction et sa diffusion.

Tiraillés entre leurs objectifs assignés – vanter par exemple l’illustre ascendance, plus ou moins mythique, d’une royale famille – et la complexité de la représentation des filiations, les clercs tâtonneront longtemps avant de trouver un modèle de représentation satisfaisant. Certaines généalogies présentent, dès le Xe siècle, des ornements végétaux, les fameux rinceaux évoqués plus haut. Mais les premiers liens ainsi représentés sont souvent décoratifs et ne figurent en fait ni union ni filiation. Une des difficultés de la métaphore végétale était le sens de lecture, contraire à l’habitude : l’ancêtre est représenté au pied de l’arbre, à la racine, et le « de cujus » en gloire, à la cime.

Aussi les représentations concurrentes à l’arbre généalogique furent elles nombreuses. Citons notamment :

  • le corps humain, pour figurer les « membres de la famille » ; le corps évoque l’idée d’un tout, indivisible ;
  • les motifs architecturaux, la maison ou le palais – une métaphore elle-aussi empruntée à la Rome antique, qui évoque la maison de famille, la succession ;
  • ou encore les chaînes, dont les maillons reliaient les individus, figurés dans ses anneaux.

La métaphore végétale a ainsi tardé à s’imposer, à partir du XVe siècle seulement ; et elle a été aidée en cela par quelques illustres précurseurs.

 

Les précurseurs de l’arbre généalogique

L’arbre de Jessé, la « généalogie ascendante » du Christ qui puise dans les prophéties d’Isaïe extraites de l’Ancien Testament, est souvent cité comme l’ancêtre de l’arbre généalogique. Cette généalogie a été abondamment illustrée, jusque sur les vitraux des cathédrales, souvent avec un décor végétal.

Il faut aussi mentionner parmi les précurseurs de l’arbre généalogique les arbres de consanguinité et les arbres d’affinité. Les premiers décrivaient les relations familiales de sang et facilitaient le calcul du degré de parenté entre deux individus, et les seconds, les relations construites par alliance et mariage. Gallica (BNF) consacre notamment un mini-site à un arbre de consanguinité extrait d’un manuscrit juridique du XVe siècle, que je vous invite vivement à consulter ici.

Enfin, les arbres de la connaissance se doivent d’être évoqués. Ces représentations végétales étaient utilisées pour le classement de tous types de concepts : arbre des vices et des vertus, arbre des sciences… Ils favoriseront eux aussi la prééminence ultérieure de la métaphore végétale dans la représentation d’une généalogie.

Dans l’article suivant nous abordons, avec la Renaissance, le triomphe de la généalogie et de l’arbre généalogique, ainsi que la place de la métaphore végétale aujourd’hui.

La citation

« J’aime appuyer ma main sur le tronc d’un arbre devant lequel je passe,
non pour m’assurer de l’existence de l’arbre – dont je ne doute pas – mais de la mienne. »

Christian Bobin, La présence pure

Sources

 

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