À la mémoire de mon grand-père, Jean-Baptiste Louis PERRET

Jean-Baptiste Louis PERRET (1887-1945)

Nous accueillons aujourd’hui sur le blog Entre nous et nos Ancêtres André PERRET. Il nous a fait le récit de la vie d’un de ses ancêtres, qui nous a particulièrement touchés. Cette histoire est effet celle de bien des hommes et femmes du XXe siècle, marquée, comme rythmée par les deux Guerres mondiales. Elle est surtout un exemple de ces légendes, rumeurs et on-dit si fréquents dans nos familles, mais ici particulièrement tragiques. Et cette histoire, nous souhaitons la partager avec vous.

Mais laissons d’abord André se présenter.

André PERRETEntre nous et nos Ancêtres : pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous, et ce qui vous a amené à vous intéresser à l’histoire de votre famille et à la  généalogie ?

André : J’ai 61 ans cette année, je dirige une société de formation au management sur Paris. J’ai 4 enfants,  et je supportais assez mal d’avoir des « trous » dans l’histoire de la famille, d’autant qu’ils étaient assez récents. C’est en cherchant à combler ces lacunes que je me suis pris au jeu et que je suis remonté en parfait amateur au XVIIe siècle… Cela devient vite une  addiction !

Entre nous et nos Ancêtres : quel personnage familial souhaitez-vous évoquer aujourd’hui, et qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à lui ?

André : Il s’agit de Jean-Baptiste Louis PERRET, mon grand-père paternel, que je n’ai pas connu. Très tôt, ce personnage m’a interpellé, malgré le peu d’informations dont je disposais sur lui – ou peut-être justement à cause de ce silence qui l’entourait dans la famille. Et certainement aussi par provocation. Ce grand-père, dont on disait qu’il était volage, me faisait rêver…

Laissons maintenant André nous conter l’histoire de Jean-Baptiste Louis PERRET.

Jean-Baptiste Louis PERRETLongtemps, je n’ai possédé qu’une photo de ce grand-père dont personne ne voulait parler dans la famille. Par ma mère, je savais qu’il était séduisant, et que les « petites Caminelle » en étaient « amoureuses ». Et par ses fils, Pierre l’aîné, mon père, et Jean le cadet, j’ai appris qu’il avait abandonné sa famille pendant la guerre, alors même qu’eux deux étaient prisonniers. Deux fils qui ne lui ont jamais pardonné.
Pourtant, je ne peux nier mon attachement à ce grand-père fantasque, qu’on a volontiers dit volage. Voici en quelques mots son portrait.

Jean-Baptiste Louis PERRET, réussite sociale et déchéance familiale

Jean-Baptiste Louis PERRET, dit Louis, naît le 11 juillet 1887 à Besson dans l’Allier ; il est issu d’un milieu agricole modeste. Sa naissance déjà suscite des « rumeurs familiales » : on dit qu’il serait peut-être le fils du curé du village…

Il obtient en 1908 à Montpellier le diplôme d’Ingénieur agronome, tremplin d’une réelle ascendance sociale. Il entame ensuite une carrière d’enseignant dans des établissements agricoles, en Bourgogne puis dans le Nivernais.

Il épouse en 1911 à Cusset (Allier) ma grand-mère Yvonne VIGNOT. De cette union naîtront Pierre (1912), Jeanne (1914) et Jean (1915). Mais déjà, les canons grondent, et Jean-Baptiste Louis est mobilisé dès 1914. En 1918, il disparaît. Une première fois.

Je perds ensuite sa trace, jusqu’au milieu des années 1930, période à laquelle il s’installe avec sa famille à Namur en Belgique. Il prend alors la direction de la société Hydrocar, un fabricant de revêtement routier (société qui existe toujours). S’en suivra une brève collaboration avec ses deux fils,  qu’il fait venir à Namur. Mais Pierre et Jean peinent à s’entendre avec  leur père, et repartent en France.

En 1914, Jean-Baptiste Louis est mobilisé comme caporal-fourrier au 295ème Régiment d’Infanterie. 

Porté disparu à Cuvilly (Oise) après l’offensive allemande du 9 juin 1918, il est retrouvé prisonnier en Allemagne où il est passé par les camps de Kassel, Crossen-sur-Oder et Cottbus.

Il est rapatrié après l’Armistice le 20 décembre 1918.

Jean-Baptiste Louis PERRET en 1914-1918

Jean-Baptiste Louis est quant à lui la coqueluche des filles de la famille, qu’il charme par son train de vie, sa voiture, les cadeaux qu’il leur offre…

Cette parenthèse belge sera importante pour la postérité familiale, puisque c’est à Namur que Pierre, mon père, rencontre celle qui allait devenir sa femme. Suzanne est la fille d’Édouard CAMINELLE, banquier de Jean- Baptiste Louis et de la société Hydrocar.

En 1940, alors que les Allemands entrent en Belgique, Jean-Baptiste Louis décide de rapatrier tout sa famille en Zone Libre, à Cusset près de Vichy. Sa motivation – dit-on – était alors de mettre la trésorerie de l’entreprise à l’abri des Allemands. Je ne dispose pas d’informations sur sa vie pendant la guerre, mais à cette époque on le dit assez volage.

À la fin de la guerre en 1945, Jean-Baptiste Louis ne rejoint pas la maison familiale, laissant sa femme seule, alors que ses deux fils sont prisonniers en Allemagne. La rumeur familiale dit qu’il vivrait avec une jeune pharmacienne namuroise, et qu’il voudrait partir à l’étranger… Deuxième disparition.

Quelques années plus tard, lors de l’entrée en maison de retraite d’Yvonne ma grand-mère, il a fallu vendre la maison familiale de Cusset. Là, j’ai découvert qu’ils n’avaient jamais divorcé ! Nous avons donc été dans l’obligation de faire une requête en séparation suite à abandon du domicile conjugal. L’officialisation de la déchéance familiale de Jean-Baptiste Louis PERRET.

Mais un échange avec un ami dont l’épouse est généalogiste va faire taire toutes les anciennes rumeurs familiales. Je lui parle de ce grand-père disparu et dont je ne trouve pas trace, et il me propose de lui communiquer à tout hasard les informations dont je dispose, ses date et lieu de naissance.
Le soir même il m’appelle et me dit que je vais avoir des surprises, en écoutant le récit de sa femme…

Jean-Baptiste Louis PERRET, déporté dans le « convoi des tatoués »

Les baraques du camp de Royallieu, Compiègne

Les baraques du camp de Royallieu

Jean-Baptiste Louis est arrêté par les Allemands au mois de janvier 1944. Sans doute faisait-il partie du Mouvement de Libération Nationale (MLN). En avril, il est à Compiègne, au camp de Royallieu, sous le matricule 29603.

Le 27 avril 1944, il est déporté vers Auschwitz dans un convoi à 100 par wagon à bestiaux. Le train mettra quatre jours et trois nuits à atteindre sa destination. Ce convoi a suscité les interrogations des historiens notamment concernant sa destination, parce qu’il s’agit du troisième convoi de déportés non-juifs envoyés directement vers ce camp de la mort. Il restera tristement célèbre, sous le nom de « Convoi des Tatoués ».

Jean-Baptiste Louis fait donc parti des 1655 détenus qui seront immatriculés à leur arrivée à Auschwitz-Birkenau, des numéros 184936 à 186590. Lui portait le numéro 186203. C’est ce tatouage, sur le bras gauche, qui  vaudra au convoi son appellation.

Jean-Baptiste Louis ne séjournera que deux semaines à Auschwitz, dans le camp « Canada », avec sans doute, après l’humiliation du tatouage, de la fouille, de la tonte et de la désinfection…, de terribles conditions de vie – l’administration allemande « effacera » d’ailleurs ce transit, comme s’il n’avait existé. Le 12 mai, avec 1560 autres déportés et à 60 par wagon, il repart dans un nouveau convoi vers  le KL Buchenwald cette fois,  à une dizaine de kilomètres de Weimar.
Il y reçoit un nouveau matricule, le 53345.

Vue d'ensemble du petit camp de Buchenwald

Vue d'ensemble du petit camp de Buchenwald - collection Foucher-Creteau

Insignes des prisonniers du KL de Buchenwald - matricule de Pierre MALLEZ

Insignes des prisonniers du KL de Buchenwald - matricule de Pierre MALLEZ

Contrairement à d’autres déportés renvoyés ensuite dans d’autres camps, après son passage au camp de quarantaine il monte au grand camp.  Il reste au camp central sans doute en raison de son âge, 57 ans alors. Il semble en effet que la plupart des déportés âgés ou diminués physiquement n’aient pas été envoyés dans les Kommandos de travail.

Jean-Baptiste Louis PERRET (1887-1945)Je ne sais pourquoi ni comment il a survécu jusqu’à ce début d’année 1945. Je ne peux qu’imaginer son quotidien difficile.

Les renseignements fournis par l’association pour la mémoire de Buchenwald laissent entendre qu’il aurait été fusillé. Du Convoi des Tatoués, à peine un homme sur deux rentrera de déportation. Mon grand-père ne fait pas partie de ceux-là.

Cérémonie du souvenir - Besson (Allier)Selon le livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Jean-Baptiste Louis PERRET décède le 24 février 1945 à Buchenwald. Son décès n’est transcrit ni à l’État-Civil de Besson son  village natal (où je l’ai cherché en vain), ni au Journal Officiel de la République française.

Mais son nom apparaît depuis 2010 sur une plaque commémorative posée en mémoire des déportés de la commune de Besson (Allier).

Jean-Baptiste Louis PERRET (1887 Besson, Allier - 1945, Buchenwald)

D’après le récit d’André PERRET, fils de Pierre, et petit-fils de Jean-Baptiste Louis.

Entre nous et nos Ancêtres : Quelle a été votre réaction à cette découverte, qui met fin aux rumeurs familiales autour de l’abandon de sa famille par un époux et père ?

André : Un regret que ni son épouse, ni aucun de ses enfants – dont mon père – n’aient su la vérité avant de mourir. Un regret doublé d’incompréhension…
Pourquoi sa famille n’a-t-elle jamais été informée ni de son arrestation ni de son décès, et notamment après la libération du camp ? Pourquoi sa femme, qui travaillait pour le gouvernement de Vichy mais dont on a su après sa mort qu’elle transmettait des documents à Londres, n’a-t-elle jamais été informée ?

Entre nous et nos Ancêtres : Cette découverte met-elle fin à vos recherches ?

André : Non. La vie peu banale de ce grand-père quitte la petite histoire pour la grande ; je voudrais donc maintenant en découvrir plus sur son parcours atypique. Et je me pose de nombreuses questions.
Il me manque des informations sur son parcours professionnel, et donc la motivation de son expatriation en Belgique. Puis, pendant la guerre, quel a été son engagement dans la résistance ? Pourquoi le statut de déporté ne lui est pas attribué par les autorités françaises ? Sur une photo, on semble apercevoir l’Ordre du Mérite à son revers, à quelle occasion cette distinction lui aurait-elle été attribuée ?
Je vais donc continuer à arpenter les ministères et fouiller les archives sur les traces de Jean-Baptiste Louis PERRET.

Si vous souhaitez réagir à cette histoire, ou contacter André, n’hésitez pas à laisser un commentaire ou nous contacter à admin[à]yvongenealogie.fr. Nous lui transmettrons votre message.

 

Biographie et arbre généalogique de Jean-Baptiste Louis PERRET (1887-1945)

Enfance auvergnate, études dans le sud et ascension sociale

11/07/1887 Naissance dans la maison familiale aux Rouyaux, dans la commune de Besson, Allier (03). Ses parents sont Jean, et Louise née SÈQUE, cultivateurs.
12/05/1908 Études supérieures, à l’École Nationale d’Agriculture de Montpellier. Obtient le diplôme d’Ingénieur agronome en 1908.
1911 Professeur de français en Bourgogne à l’école d’agriculture « La Barotte », Châtillon-sur-Seine (21). [source Recensement 1911]

Un mariage et deux enfants

12/09/1911 Épouse Yvonne Gilberte VIGNOT à Cusset (03).
16/06/1912 Naissance d’un premier fils, Pierre, à Cusset (03).
1913-1915 Professeur dans le Nivernais, à l’École d’agriculture de Corbigny (58).
1914 Vend des assurances pour la Société Française de Capitalisation.
07/01/1914 Naissance de sa fille Jeanne, dite Jeannette, à Cusset (03).

Dans la Grande Guerre, première disparition et deuxième fils

1914 Mobilisé comme Caporal-fourrier au 295ème Régiment d’Infanterie.
04/03/1915 Naissance, en son absence, d’un second fils, Jean, à Cusset (03).
09/06/1918 Porté disparu à Cuvilly (60) après l’offensive allemande. Il est retrouvé prisonnier en Allemagne où il est passé par les camps de Kassel, Crossen-sur-Oder et Cottbus.
20/12/1918 Il est rapatrié, après l’Armistice.

L’expatriation en Belgique

1936 Part en Belgique, près de Namur, où il prend la direction de la société Hydrocar.
Marie son fils ainé Pierre à Suzanne CAMINELLE, fille du banquier de l’entreprise, et sa fille Jeannette à Édouard, fils du même banquier.
1938 Touche la retraite du combattant.

Encore une guerre, deuxième disparition : en fait la déportation

1940 Rapatrie toute la famille à Cusset près de Vichy (03), en Zone Libre.
1940-1944 Appartient peut-être au Mouvement de Libération Nationale (MLN).
01/1944 Est arrêté, puis interné à Compiègne au camp de Royallieu, sous le matricule 29603. [source BAVCC]
27/04/1944

Déportation vers Auschwitz, dans un convoi qui sera plus tard nommé le « train des tatoués », arrivée le 30/04/1944.
Il est tatoué sur l’avant-bras gauche du numéro 186203.

14/05/1944 Départ le 12/05 dans un convoi avec 1561 déportés, en direction de Buchenwald, où il arrive le 14 au matin. Désinfection puis tatouage. Jean-Baptiste Louis portera le numéro 53345.
24/02/1945 Mort à l’âge de 57 ans de Jean-Baptiste Louis à Buchenwald [source Livre mémorial de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation], sans doute fusillé [source Association pour la Mémoire de Buchenwald].

 

Arbre généalogique partiel de Jean-Baptiste Louis PERRET (1887-1945)

Cliquez sur l’arbre pour l’agrandir.

Arbre généalogique

Quelques liens

 

La citation

« Celui qui est affectionné pour quelqu’un vénère aussi les choses que cette personne a laissées d’elle-même après sa mort »

Saint-Thomas d’Aquin

 

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